J’ignorais que j’allais rencontrer un tel artiste dans un salon privé, à la campagne, au Printemps. J’avais déjà croisé, au moins une fois, sa haute silhouette aux contours arrondis. J’avais remarqué son touchant sourire de grand timide, une échancrure immédiate, laissant pourtant augurer un accueil définitif, universel. Un visage désarmé et vraiment désarmant. Cet homme tout en lenteurs, enchâssé dans des habits d’adulte sage, je l’aurais surnommé facilement, la bonne pâte, l’homme tranquille, l’adolescent grandi tout seul sur sa planche à dessin, mais il est devenu l’homme placide aux flamboyants fossiles colorés. Un peintre qui ne paye pas de mine, ne fait aucun bruit ni geste pour attirer l’attention sur lui, mais un artiste qui parle volontiers de son travail avec les poètes amis. La facétie n’est pas mise en avant, elle épouse au fur et à mesure la fantaisie des nombreux poètes rencontrés sous l’alibi d’invention de livres d’artistes. Dans le film que lui a consacré Thésée en 2008, Thierry Lambert explore chez lui, devant la caméra, sa caverne d’Ali-Baba. Point besoin de sésame d’initiés, des notes de piano gambadent autour des images, Thierry Lambert commente les œuvres partagées , qui jouent avec les couleurs vives, les formes génériques, prélevées dans l’alentour et la nature… Du pointu à la rondeur, tout est clos, contenu, sous plusieurs épaisseurs de lignes séparatrices, accolées ou non. Dans les dessins coloriés de Thierry Lambert, dont la simplicité et l’ampleur métaphorique font ressurgir le souvenir d’un Matisse au sommet de son expression, les écorces du silence se dilatent perpétuellement, inlassablement pour recevoir ou rapatrier les mots des poètes. Dessins corps-maison, sans rouages excessifs, espaces insonorisés qui flottent indifféremment dans l’eau ou dans l’air. Le rêve semble stable et rassurant, mais il s’agit ici d’un accueil continu et peut-être obstiné qui ne peut s’interrompre sans grave raison extérieure. Une vie d’artiste ne supporte aucune limite dans le faisable, le reproductible n’étant que l’apparence d’un repentir ou l’allégeance transitoire aux exigences de perfectionnement et de diffusion marchands.
C’est d’y croire chez Thierry Lambert, que le dessin et sa signature s’inscrivent dans le durable. La figure humaine finit par y trouver sa permanence et sa fibre singulière dont on ne saurait prétendre qu’elle est inimitable. La fragilité n’en est pas moins souhaitable. La femme et l’homme s’y côtoient de loin, tout en vibrations concentriques. Reste à relier les brèches entre elles afin que le principe fusionne sans déflagration trop indicible. Me restait à découvrir la voix, les mots de Thierry Lambert, il ne parle que d’amitiés et il écoute beaucoup. Avant de se quitter, il m’a remis trois cartes postales illustrées par lui. C’était suffisant pour que j’aie la nouvelle envie d’aller cueillir des serpents - cerises, des femmes – papillons, des chaussures de Cendrillon et des grappes de raisin imaginaires dans un univers graphique luxuriant et sans bornes. Entre Bacchus et Vénus, les agapes ont du temps content. Carpe Diem.
Marie-Th. Peyrin